… Rendant grâces au Père qui nous a rendus capables de participer au lot des saints dans la lumière ; qui nous a délivrés du pouvoir des ténèbres, et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour (Col. 1:12-13)
1
Dans le salon, richement meublé, d’une élégante maison de Londres, deux personnes s’entretenaient ensemble. L’une d’elles, une dame, à l’air triste et accablé ; l’autre, un prêtre qui s’efforçait de la réconforter.
« Vous êtes abattue, chère Madame, disait-il ; vous souffrez d’une sorte de paralysie spirituelle, et il vous faut décidément réagir. Faites appel à toute votre force de volonté pour combattre cette faiblesse passagère ».
Le visage de son interlocutrice s’était un peu éclairé, et le prêtre, auquel ce léger changement n’avait pas échappé, continua d’un ton persuasif : « Oui, en vérité, vous avez besoin de sortir un peu de vous-même ; on donne aujourd’hui un concert à la salle Saint-James ; allez-y, cela vous distraira ».
Madame X., suivant le conseil de son visiteur, se rendit l’après-midi du même jour à la salle où le concert devait avoir lieu. Elle y était à peine assise qu’elle remarqua avec étonnement qu’il n’y avait dans la salle ni instruments de musique, ni musiciens. Très surprise, elle demanda l’explication à une dame assise près d’elle. « Oh ! répondit celle-ci, le concert n’aura lieu que ce soir. Cet après-midi M. N. va tenir une réunion d’évangélisation.
« J’ai fait une erreur », se dit Mme X., fort ennuyée. « Je ne puis assister à une réunion pareille, il me faut partir de suite » ; elle se leva précipitamment, espérant quitter la salle avant que le prédicateur, qui montait en ce moment sur l’estrade, eût commencé à parler. Dans sa hâte elle fit tomber bruyamment à terre plusieurs parapluies placés derrière sa chaise. Très contrariée de cette maladresse, gênée d’être le point de mire de tout le monde, Mme X. prit le parti de se rasseoir.
« Quel ennui », se dit-elle, « mais que faire ? il est maintenant trop tard pour partir ; en définitive c’est un petit malheur de devoir rester assise ici pendant une heure. J’en serai quitte pour ne pas écouter ». Ayant pris cette résolution, elle se résigna à l’inévitable. Mais, ô surprise, au bout d’un instant tout son intérêt était éveillé. Elle écoutait avec une attention de plus en plus soutenue les paroles du prédicateur, qui annonçait à ses auditeurs l’Évangile de la grâce et de l’amour de Dieu. Le texte qu’il avait choisi était celui-ci : « Qui croit au Fils a la vie éternelle ; mais qui désobéit au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui » (Jean 3:36).
Il y avait dans cette assemblée beaucoup d’oreilles fermées, beaucoup de cœurs que ce message de paix laissait indifférents. L’histoire si précieuse, mais si sérieuse aussi, de l’amour de Dieu et du sacrifice de son Fils, a été répétée des milliers de fois, et pour beaucoup de ceux qui étaient réunis dans cette salle, cette histoire était si connue qu’ils n’y prêtaient qu’une attention distraite. Mais, pour Mme X., l’évangile de Christ avait toute sa première fraîcheur ; c’était vraiment une bonne nouvelle qui lui était adressée. Le Saint Esprit ouvrait son cœur et son intelligence, et la Parole pénétrait profondément dans son âme ; elle commençait à comprendre que l’Évangile est « la puissance de Dieu en salut à quiconque croit » (Rom. 1:16).
La réunion terminée, elle s’approcha du prédicateur et lui demanda : « Comment puis-je être certaine que tout ce que vous venez de dire est la vérité ? »
« Avez-vous une Bible ? » demanda M. N. « Non ». « Eh bien, lisez vous-même dans la mienne ». Et ouvrant le livre saint au chapitre 5 de l’évangile de Jean, il pria Mme X. de lire le verset 24, qui était souligné : « En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui entend ma parole, et qui croit celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne vient pas en jugement ; mais il est passé de la mort à la vie ». M. N. indiqua ensuite à Mme X. un autre verset également souligné : « Je vous ai écrit ces choses afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu » (1 Jean 5:13).
Mme X. ne possédait point de Bible ; un chrétien qui avait assisté à la réunion et à l’entretien que nous venons de rapporter, lui offrit la sienne et la pria d’y lire et relire les versets soulignés. Comme Mme X. prenait congé de lui en le remerciant il lui dit : « Dieu veuille bénir la lecture de sa Parole pour votre âme ! ». Et, Celui qui fait bien plus que tout ce que nous demandons ou pensons, exauça ce vœu, comme nous allons le voir.
2
Quelque temps après les événements que nous venons de raconter, Mme X. reçut de nouveau la visite du prêtre qui lui avait conseillé d’assister au concert.
Il fut surpris de lui trouver un visage serein et lui dit : « Je n’ai pas besoin de vous demander de vos nouvelles. Je vois que mon remède a été efficace ! »
« Il a agi, en effet, mais non pas comme vous le pensiez », répondit doucement Mme X., puis elle raconta l’erreur involontaire qu’elle avait commise et comment Dieu avait tout dirigé pour son bien. Lorsqu’elle eut terminé son récit, son visiteur, très agité, se mit à parcourir la chambre et s’écria : « Je vois ce qu’il en est ! Vous êtes tombée entre les mains d’hérétiques ! Je n’essaierai pas de vous détourner de votre erreur, mais je vous enverrai un homme qui saura mieux que moi vous démontrer dans quel affreux égarement vous vous trouvez ! ». Il quitta la chambre en proie à une vive indignation.
« L’entrée de tes paroles illumine, donnant de l’intelligence aux simples » (Ps. 119:130). Mme X. avait appris dans la parole de Dieu, qu’elle était une pécheresse perdue ; elle y avait trouvé Jésus qui avait calmé toutes les inquiétudes et les tourments de son cœur. Quelle valeur pouvaient avoir pour elle désormais les raisonnements les plus subtils, s’ils ne s’appuyaient pas sur cette Parole divine ?
Le prêtre tint parole. Quelques jours plus tard un jeune moine se fit annoncer chez Mme X. Il était renommé pour son habileté dans les discussions avec les adversaires du catholicisme, et il s’efforça de prouver à son interlocutrice qu’elle s’était laissé égarer par des doctrines et des enseignements hérétiques. Tandis qu’il déployait toute son éloquence pour la ramener à l’Église catholique, Mme X. priait silencieusement, demandant à Dieu la force et la sagesse nécessaires pour parler à son tour à ce jeune moine du don précieux de la vie éternelle en Christ. Dès l’instant où il était entré dans le salon, elle avait compris, à voir son visage pâle et amaigri, qu’il était gravement malade.
Au bout d’un long moment, voyant qu’il dépensait ses arguments en pure perte, le moine se leva pour prendre congé. Alors Mme X., posant amicalement la main sur son bras, lui dit : « Voulez-vous m’écouter un instant ? » et, comme le jeune homme lui jetait un regard interrogateur, elle continua : « Savez-vous que vous êtes malade, bien proche de l’éternité peut-être ? Où aboutit votre chemin ? »
Le moine ne répondit pas, mais ne trahit aucun déplaisir. Un verset, lu récemment, se présenta à la mémoire de Mme X : « La foi est de ce qu’on entend, et ce qu’on entend par la parole de Dieu » (Rom. 10:17). « Si je lui donnais le livre qui a parlé à ma conscience ? » se dit-elle, et sans plus réfléchir elle prit la Bible avec les passages soulignés, et lui raconta comment Dieu avait béni cette lecture pour son âme. « Prenez ce livre ; lisez-le, et si un jour vous désiriez parler de ces choses avec moi, faites-le moi savoir, et je viendrai vous voir ».
Quelques mois s’écoulèrent. Mme X. avait souvent pensé à son visiteur, mais n’en avait eu aucune nouvelle. Enfin, un matin, — au moment où elle allait quitter Londres pour aller chercher au collège d’Eton son fils dont les vacances venaient de commencer — elle apprit que le jeune moine était très malade et désirait ardemment la voir.
« Que dois-je faire, se dit-elle toute bouleversée. Mon fils m’attend et se réjouit de ma venue. Dois-je le décevoir si cruellement ? » Le choix était difficile : d’un côté, l’amour maternel la pressait, et de l’autre elle sentait qu’elle devait se rendre au désir du mourant. Le sentiment maternel fut le plus fort : « Un jour de retard n’y fera rien, se dit-elle ; je rentre ici ce soir, et demain matin, à la première heure, j’irai voir ce pauvre malade ».
Et Mme X. partit pour Eton.
Le lendemain, de très bonne heure, elle se mit en route pour le couvent où demeurait le jeune moine. La porte de sa cellule était entr’ouverte. Le profond silence qui régnait à l’intérieur, une sœur de charité agenouillée au pied du lit, lui montrèrent qu’elle arrivait trop tard : la mort ne l’avait pas attendue ; elle avait, de propos délibéré, négligé une occasion qui ne se présenterait plus jamais. Tandis qu’elle se tenait là, les yeux fixés sur les lèvres muettes qui hier encore auraient pu répondre à la question qui lui remplissait le cœur ; elle fut saisie d’une si profonde tristesse qu’elle s’écria involontairement : « Oh ! dites-moi comment il est mort ! »
La sœur de charité, agenouillée, se leva et dévisagea Mme X. avec un regard d’une rigidité glaciale, tandis que la visiteuse attendait avec angoisse un mot de consolation.
« Je vous dirai comment il a quitté ce monde, dit enfin la religieuse. Il est mort en vous maudissant, vous et votre Bible ! »
Non, cela ne pouvait pas être vrai ! Pourquoi cet appel pressant de la veille, si ç’avait été pour la maudire ? Non, la religieuse mentait ; mais Mme X. eut beau la presser de questions, la supplier de lui donner quelques détails, elle ne put en tirer autre chose, et elle finit par quitter le couvent.
Un voile de tristesse recouvrait toute sa joie passée. Ah ! pourquoi ne s’était-elle pas rendue à la prière du mourant ? Des reproches amers, des questions angoissées quant au salut du jeune moine l’assaillirent et l’accablèrent longtemps, et elle ne trouva quelque consolation que dans la pensée de l’infinie miséricorde de Dieu. Si elle avait été faible et infidèle, Son bras à Lui n’était pas devenu trop court pour délivrer ni sa grâce trop petite pour secourir.
3
Quelque temps après ces événements, Mme X. quitta l’Angleterre et se fixa sur le continent : Un jour on lui annonça la visite d’une de ses compatriotes dont le nom lui était totalement inconnu. Lorsque Mme X. se trouva en face de l’étrangère, celle-ci lui dit : « Vous ne me reconnaissez pas ? En effet, il n’est pas possible que vous me reconnaissiez sous ce costume. Je suis la sœur de charité qui vous a raconté que le Père A. était mort en vous maudissant ».
L’étonnement de notre amie ne peut se décrire. Jamais elle n’aurait reconnu dans sa visiteuse la religieuse de jadis. Elle la pria de s’asseoir et de lui raconter comment elle avait abandonné l’habit de son ordre et ce qui lui valait sa visite.
« Je vous ai cherchée bien, bien longtemps, commença l’ex-religieuse, mais jusqu’à aujourd’hui toutes mes recherches avaient été vaines. Et pourtant il me fallait vous trouver pour décharger ma conscience d’un poids bien lourd. Ah ! chère Madame, je vous ai jadis honteusement menti. Le Père A. n’est pas mort comme je vous l’ai dit, en vous maudissant vous et la Bible. Bien au contraire, il est mort dans une foi joyeuse en son Sauveur. Il était parfaitement assuré de son salut, car il se reposait sur l’œuvre accomplie par Jésus Christ. Mais personne ne devait savoir cela ; il ne fallait pas que le bruit s’en répandit hors du couvent ! C’est ainsi que fut décidé le mensonge que je vous ai fait, et je viens vous avouer ma faute et vous demander votre pardon ».
La visiteuse s’arrêta, regardant Mme X., trop émue pour parler, et reprit : « En mourant le Père A. nous supplia de vous rendre la Bible qui lui était devenue si précieuse, et nous chargea de vous dire qu’il s’en allait en vous bénissant. Hélas ! j’ai cru bien faire en obéissant à mon supérieur, et en vous cachant ces détails.
Mme X. considérait cette femme avec une sympathie profonde, et en même temps elle remerciait Dieu qui avait non seulement répondu à ses prières, mais qui enlevait de son cœur un poids bien lourd. Il n’est pas besoin de dire qu’elle accorda le pardon demandé. La pauvre religieuse n’avait pas pensé qu’elle pût se dérober à l’ordre de son supérieur spirituel ; après avoir péché elle avait cru qu’elle pourrait gagner le ciel par ses prières, ses pénitences et ses bonnes œuvres, car elle ne connaissait pas la ruine complète de l’homme, et ne comprenait pas l’inutilité de ses efforts pour satisfaire un Dieu juste et saint. Elle ne savait rien de l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance (Éph. 3:19). Et comment l’aurait-elle su ? La parole de Dieu lui était inconnue ; c’est au lit de mort du jeune moine qu’elle avait vu pour la première fois la paix d’une âme qui se repose sur Jésus ; c’est là que pour la première fois elle avait senti le vide et la pauvreté de son propre cœur, malgré toute sa dévotion extérieure ; c’est là que pour la première fois elle avait douté de tout ce qu’elle avait appris jusqu’à ce jour.
Les deux femmes causèrent longuement ensemble et sentirent l’intimité grandir entre elles. Car par la grâce de Dieu l’ex-religieuse avait fait les mêmes expériences que sa nouvelle amie. La petite Bible, aux versets soulignés, avait été pour elle aussi le guide qui l’avait conduite au Sauveur. Après la mort du jeune moine ; elle s’était emparée de cette Bible, et l’avait lue en secret. La lumière divine avait pénétré jusqu’au fond de son âme, et lui avait montré toute l’horreur de son état. Elle avait eu à traverser des jours d’angoisse et de combats, mais la grâce de Dieu avait été victorieuse, et elle jouissait maintenant de la paix par la foi en Christ, « lequel Dieu a présenté pour propitiatoire, par la foi en son sang » (Rom. 3:25). C’est avec reconnaissance qu’elle louait maintenant « la gloire de sa grâce dans laquelle il nous a rendus agréables dans le Bien-Aimé ; en qui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des fautes » (Éph. 1:6-7).
L’ancienne sœur de charité avait quitté son ordre et ses vêtements monastiques et s’efforçait désormais de servir Dieu d’une manière qui lui fût agréable, « avec révérence et avec crainte » (Hébr. 12:28), non plus dans la vaine espérance de gagner de la sorte le salut de son âme, mais parce que Dieu l’avait sauvée, par sa grâce.
Les conseils de grâce de Dieu avaient triomphé une fois de plus des ruses de l’ennemi, comme il est écrit : « Il y a beaucoup de pensées dans le cœur d’un homme ; mais le conseil de l’Éternel c’est là ce qui s’accomplit » (Prov. 19:21).