LE NOM INDISPENSABLE

 

Un comte saxon, célèbre homme d’État, à qui sa patrie est redevable d’une partie de sa prospérité, tomba si gravement malade que bientôt on craignit pour sa vie ; lui-même sentait qu’il s’en allait mourir.

Jusque-là, absorbé par les affaires de ce monde, il ne s’était guère occupé de celui qui est à venir, et les voix qui lui en avaient parlé n’étaient pas de celles qui auraient pu lui montrer avec certitude le seul bon chemin. Il avait rarement réfléchi à l’éternité ; il avait sur ce grave sujet des idées vagues et spéculatives ; il avait entendu parler du Seigneur et Sauveur Jésus Christ, mais tout ce qu’il en savait lui paraissait incompréhensible et répugnait à sa raison.

Lorsque la mort s’approche, avec sommation de comparaître ; lorsque l’éternité ouvre sérieusement ses portes, plus d’un cœur incrédule se sent inquiet, plus d’un accueille avec humilité et sérieux ce qu’il avait jusqu’alors dédaigné.

Notre comte, malgré le scepticisme qu’il avait sucé avec le lait, conservait néanmoins, au fond du cœur, un besoin de vérité. Il sentit bientôt que sa maison, bâtie sur le sable de la raison humaine, tremblait sous le vent, et qu’à la place des raisonnements captieux et faux dont il s’était payé jusque-là, il n’avait rien à mettre.

Il pria donc un ecclésiastique de sa connaissance de venir le visiter, mais, dès leur première entrevue, il lui dit :

— Cher pasteur, je me sens très malade et je désire m’entretenir avec vous de choses religieuses ; mais, pour que nos entretiens me soient profitables et pour vous épargner des peines inutiles, je vous préviens, dès le début, que je ne désire pas entendre parler de Jésus Christ.

— Oh ! répondit le ministre, vous faites bien de me prévenir, car, sans cela, c’eût été le premier sujet sur lequel j’aurais attiré votre attention. Mais il y a néanmoins, d’autres sujets édifiants ; vous plairait-il d’entendre parler de Dieu ?

— Certainement, répondit le malade, j’écouterai volontiers tout ce que vous me direz de lui ; j’ai toujours eu la plus grande vénération pour l’Être suprême.

Alors le pasteur, sans tarder, parla de la bonté paternelle de Dieu envers les hommes et envers toutes les autres créatures ; il lui parla de cet Être bon, seul bon, qui aime gratuitement, qui aime toujours, et il parla de l’amour de Dieu avec tant de cœur, tant d’élévation que, lorsqu’il partit, le comte le pria de lui accorder un second entretien.

— Sur quel sujet allez-vous me parler, dit-il à l’ecclésiastique quand on l’introduisit pour la seconde fois auprès de son lit. J’ai gardé de notre première rencontre un si excellent souvenir qu’il me tardait de vous revoir.

— Je vous entretiendrai, si vous le voulez bien, de la toute-puissance et de la toute-science de Dieu.

— J’écoute, répondit le malade.

Alors le pasteur décrivit avec simplicité l’action créatrice de Dieu avant qu’il appelât à la vie la famille humaine ; puis ses soins conservateurs au milieu des enfants des hommes, son gouvernement au milieu des nations, et les tristes égarements de notre pauvre race. Bien que ces considérations fussent propres à remplir l’âme du comte de sentiments sérieux, il ne parut pas désagréablement impressionné. Sa conscience ne s’était appliquée aucune des paroles du pasteur. Il les avait trouvées intéressantes et élevées ; elles ne l’avaient ni ému, ni troublé.

Dans une troisième visite, le ministre entretint son malade de la sainteté de Dieu ; des exigences et des répugnances d’un Être pur comme lui ; de sa répulsion pour tout ce qui est souillé, pour tout ce qui aime la souillure, et de l’aversion avec laquelle il se sépare de l’iniquité.

 

Cette fois-ci pourtant, le comte fut vivement troublé.

 

Dans un quatrième entretien, le pasteur parla de la justice, cette base du trône de Dieu ; de ses droits comme justicier de toute la terre ; de la nécessité où il est de redresser les transgressions de sa loi ; de son indignation contre les offenseurs de son code ; de son approbation pour ceux qui règlent leurs voies sur sa voie.

Le comte sentit un aiguillon s’enfoncer dans sa conscience ; la loi le jugea.

— Arrêtez, s’écria-t-il avec angoisse, si Dieu est réellement aussi saint et aussi juste que vous me le dites, qu’en sera-t-il de moi ?

Le pasteur ne répondit point à ce cri de douleur ; il se leva, salua le comte avec respect, et sortit.

Bien des jours s’écoulèrent ; le serviteur de Dieu ne reparaissait plus. Il semblait avoir oublié son malade, mais son malade agité, angoissé, ne le voyant pas venir, envoya un domestique pour l’appeler.

— Pourquoi, lui dit le malade, pourquoi m’avez-vous délaissé si longtemps ? Vous avez jeté dans mon esprit des doutes, des frayeurs ; il me semble que je suis déjà en enfer ou que l’enfer est en moi. Pour l’amour de Dieu, dites-moi quelque chose qui me tranquillise, si vous le pouvez.

— J’en suis bien fâché, répondit le pasteur, mais je ne puis que répéter avec un sérieux solennel ce que je vous ai dit auparavant. J’affirme, avec la sainte Écriture, que Dieu est bon et seul bon, — que Dieu est puissant, tout-puissant, et qu’il connaît toutes choses jusqu’à sonder nos cœurs et nos reins, — qu’il est juste, et que par conséquent il ne tiendra pas le coupable pour innocent, qu’il est saint et qu’il ne se mettra pas en rapport avec la souillure et ceux qui sont souillés.

Je pourrais bien, répétant le dire de Dieu, ajouter à cela une autre chose, un fait consolant pour l’homme pécheur, mais vous m’avez défendu de vous en entretenir. Il ne me reste donc qu’à me retirer, en vous laissant résoudre comme vous pourrez la redoutable question qui s’est posée devant vous.

— J’ai mal agi, monsieur le pasteur, je me rétracte. Dites-moi tout ce qui peut me tirer d’angoisse, tout ce qui est encore à ma portée.

— Je connais, répondit le serviteur de Dieu, un nom secourable, qui est au-dessus de tout nom ; c’est le seul qui ait été donné aux hommes par lequel nous puissions être sauvés, mais c’est précisément le nom de Jésus Christ, celui dont vous m’avez défendu de vous parler.

— Je vous ai dit que je me rétractais, répondit le malade avec impétuosité ; parlez-moi de ce que vous voudrez et de qui vous voudrez, pourvu que vous m’indiquiez une porte par laquelle je puisse échapper.

Alors le pasteur, plein de joie, s’assit auprès du malade et, tirant de sa poche le Nouveau Testament, il lui lut, dans les termes mêmes qu’il a plu à Dieu d’employer, la bonne nouvelle de la grâce de Dieu.

Il commença par la proclamation pleine et franche, écrite au troisième chapitre de Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle.

Partant de cette déclaration et continuant au travers des évangiles, des Actes, des épîtres, il lui fit voir par une multitude de paroles diverses, mais concordantes, que Dieu n’avait point laissé l’homme en proie à sa misère ; qu’il lui avait envoyé un Sauveur, un Sauveur parfait, avec la mission expresse de chercher et de sauver effectivement tout ce qui est perdu. Il lui lut à quel prix cette oeuvre avait été accomplie ; comment sur la croix la victime propitiatoire avait pu dire : C’est accompli. Il lui expliqua ce que c’était que ce mot. Les péchés passés complètement effacés ; l’obligation qui existait contre nous, mise à néant, clouée à la croix ; celui qui avait le droit de nous accuser, devenu notre justificateur ; celui qui avait charge de nous juger, devenu victime à notre place ; l’enfer fermé, la mort vaincue, le sépulcre sans aiguillon et sans terreur, le ciel ouvert, un domicile préparé et là une vie nouvelle, sainte, joyeuse, active au sein de l’amour et bien loin de tout ce qui auparavant nous faisait pécher et souffrir.

— Pour qui, pour qui donc est cette bonne part ? demandait le malade, à moitié consolé, un peu craintif encore.

— Pour quiconque, oui, pour qui que ce soit qui en réclame sa part et qui, joyeux, confiant, saisit avec un humble empressement la main secourable que Dieu lui tend. Si ce quelqu’un est vous, la grâce de Dieu est pour vous. Recevez-la et bénissez celui qui par son sacrifice a permis à Dieu de vous traiter autrement que comme un pécheur.

Comme la pluie, qui tombe doucement du ciel, pénètre, humecte, rafraîchit et fertilise la terre altérée, ainsi la bonne nouvelle du salut gratuit faisait dans l’âme du malade angoissé l’effet d’un breuvage rafraîchissant. Ce nom du Christ, si malsonnant pour lui jusqu’à cette heure, lui devint doux et précieux. Comment n’aimerait-on pas, quand on se sent perdu, celui qui vient nous appeler à la repentance, non à titre de juste, mais de pécheur ?

— Ah ! voilà donc un chemin, s’écriait le comte moribond ; voilà une porte ouverte sur l’espérance ; oui, monsieur le pasteur, c’est une bonne nouvelle ce que vous venez de me dire là.

— En effet, monsieur le comte, c’est une chose certaine et digne d’être reçue que Jésus Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs. Tenez ferme cette espérance de la vie et répétez, avec tous les rachetés : « Il n’y a de salut en aucun autre ; car aussi il n’y a point d’autre nom sous le ciel, qui soit donné parmi les hommes, par lequel il nous faille être sauvés ! » (Actes 4:12).